LES ETATS D’ÂME DU CYCLISTE

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# 25/06/2021 à 16:02 Jack The bike
Le compte rond

Pourquoi lorsqu’on approche de son domicile, après une sortie de la matinée, réalise-t-on tout à coup, que l’on va avoir fait : 69, 79, 89, ou 99 kilomètres ?
Les derniers kilomètres on les connait par cœur. On sait qu’à l’entrée de Sainte Gemme il reste 23 km. A l’entrée de Versailles, 10 km etc. Et bien sûr, on calcule combien on aura parcouru, une fois rentré chez soi.
Et à chaque fois, il s’en manque d’un rien pour qu’on atteigne une dizaine complète, un compte rond. Qu’importe, me direz-vous. Certes. Mais quand même. Lorsqu’on vous demande : « et combien de kilomètres ce matin ? », c’est plus satisfaisant de pouvoir dire « un peu plus de 80 » ou « un peu plus de 90 », même si ce compte rond n’a été dépassé que de quelques centaines de mètres.
Il est vrai que si l’on répond : « quasiment 80 km » parce qu’on en a parcouru 79, l’interlocuteur, qui neuf fois sur dix ne fait jamais plus de 5 km à vélo, sera tout autant impressionné. Ça ne fait rien. Pour son amour propre, il manque un petit quelque chose.
Et ne parlons pas du seuil mythique des 100 km dans la matinée. Alors là bien sûr, arriver à seulement 98, est une vraie frustration. Le plaisir n’est pas complet. De ne pas pouvoir annoncer avec un air dégagé lors du repas de famille « j’en ai plein les pattes. Ces cent bornes m’ont tué » en guettant du coin de l’œil la surprise admirative des convives (qui vous prennent quand même pour un cinglé), il manque quelque chose.
Alors, quand on approche de chez soi, on se dit « si je fais le tour du pâté de maison, ça fera le compte. Non c’est trop puéril. C’est ridicule. Je ne vais pas faire ça. Quand même cent bornes, ça a de l’allure. Allez j’y vais, je ne suis pas à deux kilomètres près. »
Et on fait le tour du pâté de maison.
# 28/06/2021 à 15:45 Jack The bike
LES ETATS D’AME DU CYCLISTE, SUITE.
La dernière côte.

Mais qu’a-t-elle de particulier cette côte ? Elle n’est pas spécialement longue. Elle n’est pas particulièrement dure non plus. Non, une côte comme il y en a tant dans la région.
Mais rien n’y fait. On la hait. Il faut dire qu’à la fin de chaque sortie, on est obligé de se la payer pour rentrer chez soi. Et on a beau l’avoir grimpé des centaines de fois, au troisième virage, on s’interroge toujours : « est-ce le dernier ? ». Et non, il en reste encore un, on n’est pas encore en haut.
C’est vrai que les fins de parcours sont parfois difficiles. On s’est laissé embarqué par les jeunes qui sont allés plus loin qu’on l’aurait souhaité, et à un train d’enfer en plus. Ils n’ont même pas pris le temps d’une pause-café au milieu. Alors lorsqu’on attaque cette fichue côte, on en a plein les bottes. C’est le Christ au calvaire cette montée.
Bien sûr on a essayé de trouver un autre itinéraire. Mais quand on a 150 m de dénivelé à avaler, quel que soit le chemin, ça fait toujours 150 m. Alors autant éviter les détours. Et finalement cette côte, c’est encore celle dont la pente est la plus régulière.
Bon allez, courage, après celle-ci c’est plat jusqu’à la maison. Mais ce virage, c’est le troisième ou le dernier ?
# 29/03/2022 à 11:37 Jack the bike
Le bronzage ridicule

Chic voilà les beaux jours.
Zut, on va encore avoir ce bronzage ridicule.
Avec le retour du soleil, le cycliste écope d’un bronzage bien particulier : le visage tanné, le cou rouge brique, mais une bande planche sur le front correspondant à la partie masquée par le casque. Le dessus des mains bronzé mais le bout des doigts blanc, qui sont cachés sous le guidon. Les poignets, pliés sur la potence, sont striés de raies blanchâtres, qui apparaissent en position « normale ». Le dessus des cuisses est du plus beau brun, ainsi que les mollets, mais les tibias et l’arrière de la jambe restent pâles ne voyant pas ou peu le soleil.
Mais surtout, lorsque le cycliste apparait en costume de bain, on découvre son bronzage délimité par la trace du cuissard et du maillot. Il a ainsi le look du travailleur agricole après la récolte des foins : les jambes très bronzées au-dessus de la chaussette et jusqu’à mi-cuisse ; de même les bras, jusqu’à mi-biceps. Le reste blafard !
Comme il est douloureux, lorsqu’on arpente une plage dans cet appareil, de saisir le regard ironique d’un groupe de jeunes filles entrain de bronzer, de les entendre pouffer de rire du ridicule du bonhomme dès qu’on les a dépassées.
Maigre consolation, on capte parfois le regard compréhensif d’un autre baigneur, affublé du même bronzage, qui par un léger sourire témoigne que lui aussi, appartient à la confrérie des cyclistes, et semble vous dire « ils se moquent, mais si on les mettait sur un vélo, c’est nous qui ririons ».
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